• L'oeuvre du mois de mai 2015

    Mai 2015
    La "Stèle de l'oculiste"

    L'oeuvre du mois de mai 2015

    Partie supérieure d’un pilastre d’angle représentant une scène d’ophtalmologie, dite « Stèle de l’oculiste »
    Pierre calcaire, premier quart du IIe siècle
    97 x 34 x 33 cm
    Inv. 850.20.1

    Ce fragment de pilastre d’angle a été découvert en 1829 à Montiers-sur-Saulx, au lieu-dit des Ronchers, à l’occasion de travaux d’extraction de minerai de fer. Le village est situé à une dizaine de kilomètres de Nasium, probable chef-lieu du territoire leuque (cf. Franck Mourot, Nasium, ville des Leuques, 2004). La cité occupe une place commerciale, économique, politique et cultuelle dominante et rayonne sur les villes alentours. Le pilastre est découvert, avec quelques autres objets, dans un puits de construction antique, duquel on extraira un deuxième pilastre en 1874.

    La sculpture montrant la scène d’ophtalmologie est récupérée par François Humbert (1776-1850), orthopédiste de renom et féru d’archéologie. À sa mort, sa veuve en fera don, en plus de nombreuses œuvres (cf. le zémi taïno, inv. 850.20.38), au Musée barrois. 

    D’après les études de Léon Maxe-Werly (1831-1901), grand érudit barisien en matière d’histoire, de numismatique et d’archéologie, il semblerait qu’un petit temple ait été élevé à Montiers-sur-Saulx. Les deux pilastres retrouvés en fouilles devaient encadrer l’entrée de cet édifice.

     

    Sculpté en bas-relief dans du calcaire de Savonnières, le pilastre présente des scènes sur deux faces contiguës.

    Sur la face principale, on distingue, disposés en trois registres :

    • un chapiteau à feuilles d’acanthe portant, à sa base, l’inscription « MOGOUNUS INUCI FILIUS », sans doute le nom du personnage qui a commandité l’édifice.
    • la scène d’ophtalmologie : deux personnages se font face sous une niche flanquée de deux pilastres surmontés de chapiteaux feuillagés. À droite, une femme drapée d’une longue tunique, dont la tête est recouverte d’un voile, tient un vase à panse globulaire dans ses deux mains, tandis qu’un linge est disposé sur son avant-bras gauche. À gauche, un homme, vêtu d’une tunique plus courte et de bottines, lui maintient la tête de sa main gauche. De la droite, il intervient au niveau de l’œil gauche de la femme à l’aide d’un instrument.
    • dans le registre inférieur sont visibles quatre personnages : un jeune homme est allongé sur un lit, enveloppé dans un vêtement, les yeux fermés ; derrière le lit se tiennent une femme habillée d’une tunique et tenant un vase à panse globulaire, un enfant et un homme penché sur le personnage couché.

    Sur le côté du pilastre, malgré les dégradations, sont visibles :

    • une femme assise à l’allure majestueuse, sans doute une divinité, qui tient dans sa main droite une patère. Derrière elle est sculpté un enfant debout tendant son bras droit vers le haut.
    • un homme nu, de face, semble étendre son bras gauche vers l’arrière.
    • un homme de profil lève ses bras vers la tête d’un animal placé sur ce qui pourrait être un autel.

     

    Pendant longtemps, la scène d’ophtalmologie a été considérée comme la représentation d’une opération de la cataracte. Cependant, divers chercheurs sont revenus sur cette interprétation. En 1994, par exemple, Ry Andersen interprète la scène avec prudence : « une ancienne représentation d’un traitement oculaire, peut-être une opération » (« The eye and its diseases in antiquity. A compilation based on finds from ancient times », Acta Ophtalmol, 1944, n° 72). La découverte d’aiguilles à cataracte à Montbellet (71) tend également à faire penser que la stèle de l’oculiste représenterait soit un examen de l’œil, soit la pose d’un onguent. Une observation attentive de l’objet tenu par l’homme montre qu’il s’agit d’un instrument à deux branches, l’une de ces branches pouvant abaisser la paupière inférieure.

    La scène du registre inférieure renvoie sans doute à un rituel funéraire où les proches du défunt se rassemble autour de lui après sa toilette avant de l’accompagner en procession jusqu’au bucher. La femme de gauche est apparemment la même que celle de la scène d’ophtalmologie : elle crée un lien entre les deux registres qui conduit à une recherche symbolique du geste figuré dans la scène supérieure.

    Si l’on considère que ce pilastre provient d’un temple, il est vraisemblable de penser que l’on y venait pour se soigner et implorer les divinités. Le geste médical s’accompagnait d’un rituel religieux. D’un point de vue symbolique, l’instrument permettrait donc de dessiller les yeux de la femme initiée pour l’amener à voir ce qu’elle ignorait et qu’elle puisse regarder la divinité. La femme initiée, ayant reçu la révélation, viendrait ensuite la transmettre au défunt afin qu’il accède à l’immortalité.

     

    Source : A. Raspiller, « La Stèle de l’oculiste du Musée barrois et le logo de la Société francophone d’histoire de l’ophtalmologie », Journal français de l’ophtalmologie, 2015, n° 38, pp. 146-153.

     


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